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28 / 03 / 2024

Salariés non-résidents mais domiciliés fiscalement en France: quelles modalités d’imposition ?

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Dans sa décision du 5 février 2024 Axa Group Opérations[1], le Conseil d’Etat a précisé que le champ d’application de la retenue à la source prévue par l’article 182 A du CGI était limité aux seules personnes n’ayant pas leur domicile fiscal en France au sens de l’article 4 B du CGI, quel que soit le lieu de leur résidence fiscale, éventuellement attribuée à un autre Etat en application d’une convention fiscale internationale. Le Conseil d’Etat remet ainsi en cause la position de l’administration fiscale consistant à faire systématiquement primer la notion de résidence sur celle de domicile[2] et qui la conduisait à placer dans le champ de cette retenue l’ensemble des contribuables considérés comme non-résidents de France au sens d’une convention internationale.

La distinction entre domicile et résidence qui fonde cette décision aura sans doute de très nombreuses conséquences sur les pratiques qui se sont structurées en tenant compte de la suprématie de la notion de résidence[3] énoncée par la doctrine administrative. Voici nos premiers commentaires relatifs aux effets qu’elle pourrait avoir sur les modalités d’imposition des salariés mobiles.

On notera qu’ayant écarté l’application de la retenue à la source au cas d’espèce, le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur la question de la répartition du droit d’imposer les rémunérations servies au dirigeant d’une société française, résident fiscal Suisse et exerçant occasionnellement ses fonctions hors de France. Malgré des conclusions du rapporteur riches d’enseignements à ce sujet, cette décision n’apporte donc aucune précision sur ce point.

Application du prélèvement à la source aux personnes non résidentes de France mais domiciliées en France au sens du droit interne ?

Contraire à la doctrine administrative, cette décision remet également en cause la compréhension que la plupart des entreprises avaient de l’article 182 A du CGI et qui les conduisaient à distinguer uniquement entre les non-résidents, soumis à cette retenue, et les résidents, soumis pour leur part au prélèvement à la source de l’impôt instauré en 2019. Il conviendrait désormais pour les employeurs de tenir compte d’une troisième catégorie de salariés : les non-résidents conventionnels domiciliés en France au sens de l’article 4 B du CGI.

En effet, conformément à cette décision, dans tous les cas où la France est compétente pour imposer un contribuable, les renvois du CGI à la notion de domicile ne devraient pas être lus comme faisant référence à la résidence fiscale mais à la seule définition du domicile fiscal prévu par l’article 4 B du CGI. En conséquence, les personnes non résidentes de France au sens d’une convention mais domiciliées en France au sens du CGI ne devraient pas être soumises à la retenue de l’article 182 A du CGI. Corrélativement, il semble que le prélèvement à la source de l’impôt devrait s’appliquer à ces mêmes contribuables puisque leurs salaires ne sont exclus du champ d’application du prélèvement que lorsqu’ils sont justement soumis à la retenue à la source prévue par l’article 182 A du CGI (article 204 D[4] du CGI).

Ce changement de perspective devrait concerner un nombre important d’entreprises puisqu’il est en pratique très fréquent qu’un salarié mobile soit domicilié en France au sens de l’article 4 B tout en étant résident d’un autre Etat au regard d’une convention fiscale internationale signée par la France. C’est en effet souvent le cas des salariés travaillant en France et remplissant le critère de domiciliation lié à l’exercice d’une activité professionnelle en France à titre non accessoire tout en ayant, dans l’Etat où vit leur famille, le centre de leurs intérêts vitaux au sens conventionnel.

Perte du caractère libératoire de la retenue mais non application des taux minimums d’imposition ?

Outre le changement dans les modalités de prélèvement de l’impôt sur le revenu, cette décision aura sans doute de nombreux effets encore non envisagés en raison, d’une part, du grand nombre de références faites par le CGI au domicilie fiscal et, d’autre part, à l’étendue du réseau conventionnel français.

S’agissant des salariés mobiles, on peut d’ores et déjà envisager que ceux qui cesseront d’être soumis à la retenue à la source prévue par l’article 182 A du CGI en raison de leur domiciliation en France perdront également les avantages liés à son caractère libératoire prévu par l’article 197 B du CGI (règle conduisant à exclure du calcul annuel de l’impôt les salaires n’excédant pas les limites des tranches soumises aux taux de 0% et 12%).

Cette situation devrait être moins favorable pour les salariés concernés compte tenu de l’existence des taux minimums d’impositions prévus par l’article 197 A du CGI et qui sont aujourd’hui appliqués par l’administration fiscale à l’ensemble des non-résidents, sans distinction entre ceux qui seraient domiciliés ou non-domiciliés en France au sens de l’article 4 B du CGI. Toutefois, la rédaction de la décision du Conseil d’Etat et des conclusions du rapporteur public pourraient laisser penser que ces taux minimums, dont le CGI prévoit qu’ils s’appliquent aux contribuables « non-domiciliés » en France, devraient justement cesser de s’appliquer aux personnes non-résidentes de France mais remplissant l’un des critères de domiciliation prévus par le CGI.

En effet, selon les conclusions du rapporteur[5], l’absence de recours aux dispositions de la convention fiscale pour décider de la non application de la retenue à la source tiendrait au fait que si l’objectif des conventions est de répartir le droit d’imposer, celles-ci n’ont pas pour objet d’encadrer la manière dont l’Etat exerce sa compétence fiscale en matière de recouvrement. Ainsi, dès lors que le droit d’imposer lui revient, la France est libre d’appliquer ou non des modalités particulières de perception de l’impôt en fonction du domicile fiscal, l’analyse de la résidence fiscale étant alors sans incidence.

Pourrions-nous également appliquer ce raisonnement aux règles de calcul de l’impôt telle que celles de l’article 197 A du CGI prévoyant l’application de taux minimums d’imposition aux personnes « n’ayant pas leur domicile en France »[6] ? S’il ne s’agit pas d’une règle de recouvrement, celle-ci n’est pas non plus une règle ayant trait à la répartition du droit d’imposer. Dès lors, conformément à la logique des conclusions du rapporteur, la résidence fiscale d’un contribuable domicilié en France au sens de l’article 4 B du CGI n’aurait pas à être prise en compte pour déterminer si celui-ci devrait ou non être soumis aux taux minimums d’imposition. Ces taux, comme l’application de la retenue à la source, pourraient donc être écartés dès lors que l’un des critères de domiciliation serait rempli par le contribuable.

Les personnes concernées pourraient alors bénéficier de la totalité de la progressivité du barème de l’impôt sur le revenu et notamment de la totalité des tranches soumises aux taux de 0% et 11% (barème qui se substituerait de manière avantageuse à la perte du bénéfice des tranches imposées à la retenue aux taux de 0% et 12% dont les montants sont susceptibles d’être réduits en fonctions de la durée des périodes travaillées en France).

Un traitement des déclarations des non-résidents à repenser ?

Si la décision du 5 février 2024 devait avoir les conséquences envisagées plus haut, elle rendrait également nécessaire une évolution des modalités d’établissement et de traitement des déclarations de revenus des non-résidents. En effet, ces déclarations donnent aujourd’hui lieu à l’émission d’avis d’imposition ne tenant pas compte des montants éventuellement déclarés au titre du prélèvement à la source ainsi qu’une application systématique des taux minimums d’imposition prévus à l’article 197 A du CGI. Ce traitement résulte clairement de la confusion existant dans les formulaires déclaratifs actuels entre les notions de domicile fiscal et de résidence fiscale.

Afin de mettre en œuvre les principes rappelés par la décision du 5 février, il serait ainsi nécessaire de distinguer, dans les déclaration des revenus des contribuables non-résidents, entre les personnes non-résidentes au sens conventionnel mais domiciliées en France au sens du droit interne (contribuables soumises au prélèvement à la source et potentiellement non soumises aux taux minimums de l’article 197 A du CGI) et celles étant non-résidentes et non domiciliées en France (soumises à la retenue à la source de l’article 182 A du CGI et aux taux minimums d’imposition).

[1][1] CE, 5 février 2024, Axa Group Opérations, n°469771

[2] BOI-INT-DG-20-10-10, n°50

[3] BOI-INT-DG-20-10-10

[4] Article 204 D du CGI : « Ne sont pas soumis au prélèvement prévu à l’article 204 A […], les revenus soumis aux retenues à la source prévues aux articles 182 A182 A bis182 A ter et 182 B […] »

[5] CE, 5 févr. 2024, n° 469771, Axa Group Opérations, concl. R. Victor

[6] Article 197 A du CGI : […] pour le calcul de l’impôt sur le revenu dû par les personnes qui, n’ayant pas leur domicile fiscal en France : a. Perçoivent des revenus de source française ; l’impôt ne peut, en ce cas, être inférieur à un montant calculé en appliquant un taux de 20 % à la fraction du revenu net imposable inférieure ou égale à la limite supérieure de la deuxième tranche du barème de l’impôt sur le revenu et un taux de 30 % à la fraction supérieure à cette limite […] »

 

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