
Nicolas Pregliasco
Avec un candidat mis en examen, des primaires à droite et à gauche, une candidate d’extrême droite qui semble promise au second tour et un Président sortant absent des débats, l’élection présidentielle de 2017 suit un scénario qui semble chaque jour plus original et déroutant. Que l’on se rassure, certaines traditions résistent à toutes les tendances et les candidats, si anti-système soient-ils, n’ont pas manqué de rendre hommage à certains grands classiques du genre dont celui, particulièrement savoureux, consistant à annoncer les réformes fiscales à venir. A une semaine du premier tour, voici un récapitulatif des propositions faites par les cinq candidats qui, encore aujourd’hui, sont rassemblés par les analystes politiques sous la très attractive étiquette des « gros candidats ». Mettons immédiatement fin au suspens : eux Présidents, vous paierez des impôts ; mais lesquels ?
Comparaison des programmes
Avant de se lancer dans le vif du sujet, il convient de préciser que les engagements repris dans notre comparatif sont uniquement les engagements publiés par les cinq « gros candidats ». A défaut d’obligation faite aux candidats de se prononcer précisément sur des sujets fiscaux identiques, les programmes ne traitent pas des mêmes sujets et ils ne sont donc pas comparables point par point, à moins d’interpréter les non-dits comme une volonté de conserver les choses en l’état actuel.
Par conséquent, le tableau comparatif que nous vous proposons reprend d’abord les propositions relatives aux sujets les plus en vogue : le sort réservé au prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu (qui conditionne la « blancheur » de l’année 2017), le devenir de l’impôt sur la fortune et les propositions en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale. Par la suite, les propositions des candidats sont reprises par catégorie, les silences des uns et des autres étant mentionnés sous l’acronyme NSPP.
L’ordre d’apparition des candidats dans nos commentaires ainsi que dans notre tableau correspond à l’ordre alphabétique.
Résumé des programmes
- Monsieur François Fillon
Les engagements de Monsieur François Fillon en matière de fiscalité individuelle convergent en majorité vers l’allègement de la pression fiscale subie par les foyers fiscaux détenteurs d’un patrimoine significatif : suppression de l’ISF, mais possibilité pour les anciens redevables de cet impôt d’imputer sur leur impôt sur le revenu les déductions dont ils bénéficiaient en matière d’ISF, allègement de la fiscalité des donations (par réduction de la période de rapport fiscal), allègement de l’imposition des plus-values de cession immobilière (par réduction du délai dans lequel les plus-values peuvent être exonérées). Les revenus de capitaux mobiliers seraient soumis à une imposition au taux forfaitaire de 30%.
Les familles sont également à l’honneur avec un rehaussement du plafonnement des effets du quotient familial à 3 000 € par demi-part contre 1 512 € aujourd’hui.
Une fiscalité du patrimoine et des revenus du patrimoine allégés, un quotient familial plus avantageux ; c’est par la TVA que la rigueur et l’austérité voulues par le candidat seront financées avec une hausse de 2% du taux normal de la taxe.
- Commentaire
Outre l’étonnement que peut susciter un programme tentant de manière aussi radicale de conjuguer austérité pour les uns et mesure de faveur pour les moins démunis, on ne pourra que s’étonner du fait qu’un candidat présenté partout comme libéral d’un point de vue économique tienne autant à maintenir les déductions fiscales pour investissement dans les entreprises. En effet, malgré leur très grossier déguisement, ces mesures opèrent de manière évidente une conversion immédiate entre de l’impôt, soit de l’argent publique, et un financement, donc une aide, apporté aux entreprises. Il faut croire que pour certains libéraux, la main invisible du marché sera toujours légitime à piocher dans le portefeuille des finances publiques.
- Monsieur Benoit Hamon
La quasi-totalité des engagements publiés par Monsieur Benoit Hamon concerne la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationale (suppression du « verrou de Bercy », création d’une taxe aux contours non définis à ce jour sur les « bénéfices détournés par les multinationales », reporting pays par pays…). Les primo-accédants à la propriété immobilière pourraient bénéficier d’une baisse de la taxe foncière, laquelle tiendrait compte de leur endettement.
- Commentaire
Un programme majoritairement tourné vers la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale et silencieux sur la fiscalité des particuliers qui constituait pourtant jusqu’alors un sujet privilégié par les candidats de gauche. On pourrait voir chez l’ancien frondeur qui entend instaurer un très louable « reporting » pays par pays pour les multinationales, une réelle volonté de changement par rapport à la précédente majorité. On rappellera en effet que, durant une nuit de décembre 2015, cette obligation avait été votée par l’Assemblée nationale avant que Christian Eckert, alors secrétaire d’Etat au budget, n’interrompe la séance afin de constituer une majorité nocturne capable de supprimer cette mesure. Celle-ci était pourtant tout à fait cohérente avec les objectifs affichés alors par le gouvernement (et elle était dans tous les cas plus cohérente que la photo, encore présente dans certains centres des impôts, de Monsieur Jérôme Cahuzac, les mains posés sur un pupitre indiquant fièrement l’objectif de « lutte contre la fraude fiscale »).
Toutefois, si les nombreux silences de son programme valent prorogation des règles actuelles, le programme de Monsieur Benoit Hamon s’inscrirait plutôt dans la continuité de l’œuvre du précédent gouvernement.
- Madame Marine Le Pen
Le programme de la candidate du Front national prévoit les « engagements » suivants : baisse de 10% de l’impôt sur le revenu sur les trois premières tranches du barème, défiscalisation des heures supplémentaires, exonération des plus-values de cession des actions et parts sociales des PME-PMI au bout de 7 ans, création d’un taux intermédiaire d’IS pour les PME à 24%. En matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la candidate propose, sans en préciser les contours, la création d’une taxe sur les activités réalisées en France dont les profits seraient « détournés », de priver d’accès aux marchés publics les multinationales qui pratiquent « l’évitement fiscal » et refusent de régulariser leur situation, de dénoncer les conventions fiscales avec « les pays du Golfe ».
- Commentaire
Madame Le Pen est sans doute la candidate dont l’étiquette anti-système est la plus ancienne et la plus fréquemment rappelée. Ce n’est manifestement pas dans le domaine fiscal que sa volonté de changement s’exprime le plus, ses engagements dans ce domaine constituant plus de petits ajustements du « système » existant qu’un réel changement de paradigme.
- Monsieur Emmanuel Macron
Le programme de Monsieur Emanuel Macron est, avec celui de Monsieur Jean-Luc Mélenchon, l’un des programmes fiscaux les plus détaillés. S’éloignant d’une classique opposition entre la fiscalité du travail et celle du capital, celui-ci traite d’une multitude de points différents avec une description relativement précise des mesures envisagées. On notera la réforme de la fiscalité des revenus de capitaux mobiliers avec la création d’un « prélèvement forfaitaire unique » (qui, comme proposé par Monsieur François Fillon, aura un taux de 30%), la suppression de l’ISF qui sera remplacé par un Impôt sur la seule fortune immobilière (IFI) et la suppression progressive pour la majorité des foyers fiscaux de la taxe d’habitation.
- Commentaire
On ne peut que s’interroger sur le sens d’une fiscalité du patrimoine qui ne toucherait à terme que les biens immobiliers : pourquoi cette faveur faite aux détenteurs de patrimoines mobiliers ? A défaut de précisions sur d’éventuelles conditions d’exonération du patrimoine mobilier, on ne peut voir dans cette mesure qu’une faveur accordée à une manière de structurer son patrimoine et non une nouvelle approche de la fiscalité patrimoniale ou du rôle de celle-ci dans le système fiscal. Pourquoi le maintien de la pression de l’ISF actuel sur les seuls détenteurs de biens immeubles ? Que l’on soit l’un de ses détracteurs ou l’un de ses ardents défenseurs, il va de soi que l’ISF (dont le rendement, faible, est sans commune mesure avec le temps qui lui est consacré dans le débat public) a une valeur symbolique. Il semble difficile de conserver cette valeur symbolique sans conserver l’assiette actuelle de l’impôt (c’est-à-dire l’ensemble des actifs des contribuables). A défaut, il ne deviendra qu’une taxe de plus assise sur la propriété immobilière (l’IFI que le candidat veut instaurer), sorte de super taxe foncière pour les patrimoines principalement constitués de biens immobiliers et qui ignorera superbement des patrimoines d’une valeur éventuellement bien supérieure mais qui auraient le bonheur d’être investis en actions (espérons au moins que l’explication de cette faveur ne sera pas aussi naïve que la simple évocation du « risque de l’investisseur »).
- Monsieur Jean-Luc Mélenchon
Le programme de Monsieur Jean-Luc Mélenchon est, sans surprise, celui qui présente le plus la fiscalité comme le moyen privilégié de l’action publique et non comme une entrave dont il faudrait impérativement libérer les individus et les entreprises (le programme de Monsieur François Fillon rejoint très nettement cette seconde conception des choses). Dans cette optique, la créativité est reine : création d’un revenu maximum, détermination d’un héritage maximum, mise en place d’une taxation différentielle afin de pouvoir assujettir à l’impôt sur le revenu l’ensemble des citoyens français en fonction de leur nationalité et non de leur résidence fiscale.
- Commentaire
Le riche volet fiscal du programme de Monsieur Jean-Luc Mélenchon fera figure de repoussoir pour les uns et d’unique espoir de changement véritable pour les autres. Il marquera dans tous les cas l’histoire des campagnes présidentielles pour être à notre connaissance le premier programme aussi radical au plan fiscal ayant fait l’objet d’une présentation aussi claire et détaillée par le candidat, la « France insoumise » ayant même mis à la disposition des curieux un calculateur d’impôt[1] permettant de se faire une idée chiffrée des effets des différentes mesures annoncées.
Tableau récapitulatif des mesures fiscales souhaitées par les cinq « gros candidats »
Notre tableau récapitulatif figure également dans la version pdf de l'article (disponible sur cette page).