Nicolas Pregliasco

Nicolas Pregliasco

Avocat associé
17 mars 2016

Les contours du prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source annoncé en mai 2015 se précisent. Le Ministre des Finances et des Comptes Publics et le secrétaire d’Etat chargé du Budget ont donné le 16 mars 2016 les premiers détails du dispositif de prélèvement dont la mise en œuvre doit intervenir dès le 1er janvier 2018.

Généralité du prélèvement 

Le prélèvement concernera les traitements et salaires, les pensions, les revenus de remplacement mais également les revenus des indépendants et les revenus fonciers. Le Ministère des Finances prévoit ainsi que le prélèvement touchera la majorité des revenus perçus par plus de 98% des foyers fiscaux. A ce jour, seules les modalités d’application du prélèvement aux revenus des salariés ont été précisées (voir ci-dessous). En revanche, les quelques informations données sur l’adaptation de ce dispositif aux revenus des indépendants ou aux revenus fonciers laisse à penser qu’il s’agira non pas d’un dispositif de prélèvement à la source mais d’un système d’acompte mensuels ou trimestriels.

Un dispositif tenant compte de la situation personnelle des contribuables

Avec l’idée de mettre « la neutralité au cœur du dispositif », le Ministère a précisé que l’application du prélèvement ne modifierait pas les modalités de calcul de l’impôt sur le revenu et que ce prélèvement, contrairement aux retenues à la source d’ores et déjà appliquées en France à certains revenus, tiendrait compte de l’ensemble des revenus perçus par le foyer fiscal des contribuables, ainsi que de la « familiarisation et la conjugalisation » de l’impôt. Il serait toutefois possible d’appliquer des taux distincts à des personnes imposées communément, notamment en cas de de différence importante de niveau de revenus entre les personnes concernées. Il est précisé que la prise en compte de la situation des contribuables sera faite « en temps réel » afin que, par exemple, la naissance d’un enfant ou un changement de situation matrimoniale puisse être pris en compte dès sa réalisation. Ce suivi de la situation des contribuables nécessitera sans doute la mise en place d’un dispositif de communication de ces changements auprès de l’administration en cours d’année et une importante réactivité de la part des services fiscaux. L’application du prélèvement ne devrait pas dispenser du dépôt d’une déclaration annuelle au cours de l’année suivante comme c’est le cas actuellement.

Précisions relatives à la situation des salariés : les taux d’impositions des salariés seront transmis aux employeurs

Pour les salariés, le prélèvement serait opéré par l’employeur à un taux d’imposition établi et transmis aux entreprises par l’administration fiscale. Ce taux figurera sur les bulletins de paye des salariés. Le gouvernement assure ainsi qu’aucune information personnelle ne devrait être adressée aux employeurs puisque, d’après Christian Eckert,  « l’administration fiscale […] restera l’unique destinataire des informations fiscales et l’unique interlocuteur des contribuables »1. Cette présentation nous semble assez éloignée de l’évidence qui est qu’un taux d’imposition est en lui-même une information à la fois fiscale et personnelle qui, si elle ne permet effectivement pas de connaître le détail de la situation fiscale d’un contribuable, permettra à l’employeur de se faire au minimum une idée générale du niveau global des revenus d’un salarié (idée qui pourra être vraie ou fausse). Malgré la déclaration d’intention du gouvernement, on ne peut que s’interroger sur les effets au sein des entreprises de la transmission de ces informations. Ces questions, dues au fait que le taux de la retenue ne sera pas fixé par rapport aux sommes versées par l’employeur mais au regard de l’ensemble des revenus du foyer du salarié, auront le charme de la nouveauté puisque, jusqu’à présent, les mécanismes de retenue à la source applicables en France reposaient tous sur l’utilisation de barème fixes et identiques pour l’ensemble des contribuables. C’est notamment le cas de la retenue à la source prélevée sur les salaires de source française perçus par des non-résidents (article 182 A du CGI), dont l’application ne nécessite aucune transmission d’information de l’administration fiscale aux entreprises.

Un dispositif d’acomptes pour les travailleurs indépendants ou les bailleurs

Si le gouvernement a bien annoncé que le prélèvement s’appliquerait également aux revenus des indépendants et aux revenus fonciers, aucune information précise n’a à notre connaissance été dévoilée quant à la création d’un « prélèvement à la source » à ces catégories de revenus. En effet, pour que l’on puisse véritablement parler de prélèvement à la source, il faut à notre sens que le prélèvement soit opéré par le débiteur d’une somme et non par le bénéficiaire du paiement. A défaut, l’impôt n’est pas prélevé à la source mais acquitté de manière classique par le contribuable qui perçoit les revenus imposés. A ce titre, l’annonce d’un prélèvement à la source sur ces revenus pouvait laisser songeur : un particulier devrait-il prélever lui-même l’impôt sur le revenu de son avocat sur les honoraires qui lui auraient été facturés et au moyen d’un taux qui lui aurait été transmis par l’administration fiscale ? Les locataires se verraient-ils transmettre le taux d’imposition de leurs bailleurs afin de prélever un impôt sur le montant de leurs loyers ? En réalité, le gouvernement semble privilégier un système d’acomptes mensuels ou trimestriels. Dans ce système, l’administration calculerait un acompte sur la base des revenus de l’année précédente et ajusté en cours d’année en fonction de la déclaration des revenus annuelle. A ce titre, l’appellation de « prélèvement à la source » semble bien éloignée de la réalité puisque le dispositif ne semble être qu’une nouvelle forme de mensualisation, modulable en temps réel et assez proche de celle pour laquelle les contribuables peuvent d’ores et déjà opter.

L’année de transition

Alors qu’en 2017, les contribuables s’acquitteront dans les conditions actuelles de leur impôt sur les revenus de 2016, ceux d’entre eux concernés par la retenue à la source paieront dès janvier 2018 leur impôt sur les revenus de 2018. Ainsi, ils acquitteront donc bien un impôt en 2017 et 2018, mais pourraient ne pas en payer au titre de leurs revenus de 2017. Le sort de ces revenus, tel qu’il ressort du dossier de presse du Ministère, ne paraît pas extrêmement clair puisque, s’il semble bien que 2017 pourrait être une « année blanche », soit une année au titre de laquelle aucun impôt sur le revenu ne serait dû, les revenus de 2017 devraient tout de même être pris en compte par l’administration. En effet, il est précisé que le taux du prélèvement à la source sera ajusté dès septembre 2018 afin de tenir compte « de la situation 2017 ». De même, les « revenus exceptionnels par nature ainsi que les autres revenus exclus du champ de la réforme perçus en 2017 resteront imposés en 2018 selon les modalités habituelles ». Enfin, le bénéfice des réductions et des crédits d’impôt dont les contribuables pourraient bénéficier au titre d’une imposition des revenus de 2017 « sera conservé ». A défaut de précisions supplémentaires sur le traitement de cette période particulière, l’équilibre et la teneur du cadeau fiscal que ces mesures laissent déjà envisager ne pourra être apprécié qu’en juin 2016, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative.

1 - Propos repris par le site du Ministère des finances et des comptes publics